elisseievna : Essentialisme et islamophobie : Même sophisme


Essentialisme et islamophobie : Même sophisme


Les musulmans militants ont un avantage sur nous : ils connaissent notre philosophie et notre droit, nous ne connaissons rien à l’islam. Notre Droit nous permet de défendre la démocratie, (il nous permet de limiter certaines libertés pour préserver globalement plus de libertés (exemple, l’article 30 de la déclaration de 1948), mais pour qu’un droit soit utilisable, il faut que les juristes prennent connaissance des faits, que ces faits soient des réalités matérielles, ou qu’ils soient des textes et des discours.

Il faut aussi que les intellectuels, dont le discours pèse sur la pensée des juges, ne tombent pas dans le premier sophisme venu. Or, nous ne connaissons rien à l’islam et nous tombons dans les premiers sophismes venus tels ceux liés aux notions d’«islamophobie» et d’«essentialisme», ce dernier sophisme visant d’ailleurs à nous interdire à la fois de connaître l’islam et de dire ce que l’on en connaît.

Le sophisme du terme islamophobie est bien connu : il consiste à introduire une confusion entre islam et musulmans, entre critique de l’islam et haine des musulmans, entre blasphème et racisme.

J’expliquerai ici la manipulation du terme « essentialisme ». Son but est de faire passer aux antiracistes de gauche le message suivant : quiconque ne dit pas "il y a plusieurs islams", est «raciste».

Qu’est-ce que l’essentialisme ?

Pour les antiracistes, dont je fais partie, lecteurs ou lectrices de Sartre et Beauvoir entre autres, (mais aussi de Marc-Alain Ouaknin) enfermer l'"homme" qui est "libre" de son existence dans une essence, c'est tomber dans le racisme qui estime que l'être humain naît avec un code génétique déterminant tout.

Les féministes, dont je fais partie, ont repris le thème pour refuser «l’essentialisation» de «la» femme. «On ne naît pas femme on le devient». Les «universalistes» (ceux qui croient à des universaux communs à toute l’humanité plutôt qu’à des «essences» différentes de diverses catégories humaines : races, sexes, etc.), dont je fais partie, récusent, bien entendu, toute «essentialisation».

C’est le refus de tout déterminisme génétique ou de tout prétendu «ordre naturel», juste ou pas (Bien entendu la présentation que je fais ici de ces concepts est très schématique). Pour certains cela va très loin dans le refus de toute «nature» ou réalité physique. Certains universalistes tels Elisabeth Badinter, mais surtout Eric Borillo ou Marcella Jacub (juristes CNRS) appliquent de manière très excessive ce refus de l’essentialisation à leur réflexion sur les droits des femmes et des homosexuel-les, allant pour Marcella Jacub jusqu’à qualifier toute prise en compte de la grossesse, comme un «essentialisme» exécrable. Ce qui les amène à militer pour des contrats de «mères porteuses» en France. Avancez qu’au commencement le lien entre la mère et l’enfant n’est pas tout à fait le même que le lien entre le père et l’enfant du fait de la grossesse, et hop : vous voilà dans le même sac que les racistes.

Aujourd’hui, c’est l’islam que certains refusent que l’on « essentialise ». Je suis bien entendu d’accord pour le refus d’«essentialiser» «les» musulmans. Mais certains disent : «Comment ! Vous vous obstinez à dire que l'islam n'est pas une auberge espagnole susceptible de toutes les interprétations, vous vous obstinez à "essentialiser" cette pauvre religion qui ne demande qu'à VIVRE LIBRE EN FEMME LIBRE !!!!!, eh bien cela prouve que vous n'êtes en tout qu'une "essentialiste", qui "essentialise" tout, c'est-à-dire que vous "êtes" une raciste». Là on ne peut que rire ... sauf quand on voit à quel point ceci est pris au sérieux. Une doctrine ou une religion n’est pas une femme, pas un être humain. Osons le rappeler...

Le sophisme de l’utilisation de la critique «d’essentialisme» contre certains islamologues ou critiques de l’islam, repose sur la confusion entre les personnes humaines, que sont les musulman-e-s, qu’il ne faut bien entendu pas «essentialiser», et la doctrine, le Droit, la religion qu’est l’islam. Il joue donc exactement sur la même confusion que le néologisme «islamophobie».

L'islam est un Droit, un système juridique et une législation avec une jurisprudence multiséculaire déjà existante et cohérente, un Droit que les "islamistes" appliquent au plus près et non par "dérive".

Quand j'étudie le Droit français et que j'en décris le contenu et les principes, tel qu'il résulte des textes, je décris bien une "essence", un "sens", en présentant ses principes et ses effets : je ne fais pour autant aucun "racisme" pro ou antifrançais. Le reproche d'essentialisation est inepte appliqué à un Droit.

Décrire un Droit, ses textes, son histoire, sa cohérence et ses conséquences à un instant T, et en déduire les conséquences humaines et politiques, dire quels sont ceux qui appliquent ce Droit et ceux qui ne l'appliquent pas, donner un avis sur les évolutions possibles logiquement dans l'interprétation de textes, compte tenu de leur contenu et des jurisprudences antérieures, cela n'a rien à voir avec un quelconque jugement sur l'"essence" de ceux qui s'y soumettent, cela n'empêche aucunement ses adeptes d'évoluer s'ils le veulent, cela consiste juste à dire la réalité à un instant T au lieu de prendre ses désirs pour la réalité ... et de porter des accusations de racisme à tort et à travers.

Comment l’existentialisme vient à des écrivains musulmans

Voici comment la notion d’«essentialisation» apparaît sous la plume de différents musulmans, pour la désavouer bien entendu, car eux, même lorsqu’ils viennent d’Egypte, ont pris la peine de connaître nos concepts philosophiques et juridiques.

Tariq Ramadan dit: «Il faut éviter les réductions chez vous et chez moi de même que l’essentialisme ; l’islam ne se transmettant pas dans les gènes, par le sang, mais dans les têtes.» (1). Il a raison.

Abdennour Bidar, auteur de «Self Islam» dit : «Rien, aujourd’hui en Europe, ne ressemble moins à un musulman qu’un autre musulman (…) Il n’y a plus ici de musulman type ; nous sommes tous devenus des musulmans atypiques." (2) Jusque là il a raison. Il ajoute : «Prenons la mesure philosophique du phénomène: dans l’islam d’Europe comme dans la société moderne tout entière, l’existence précède l’essence, autrement dit c’est l’homme qui fait l’islam, et non l’islam qui fait l’homme. Il n’y a pas un islam préétabli qui dicte à tous comment ils doivent vivre et penser, mais des individus qui - chacun en son âme et conscience - essaient de trouver le rapport à l’islam qui leur convient, et font éclore «des islams», «des façons d’être musulman», «des modes multiples d’attachement à la culture musulmane». La société européenne entière, et les musulmans eux-mêmes, doivent réaliser que nous sommes entrés dans l’ère de l’existentialisme musulman».

Là commence la confusion : chaque personne est libre dans son rapport avec l’islam et libre d’inventer l’islam qu’elle souhaite ou de croire à la version de ce qu’elle appelle islam qu’elle pense vraie, c’est sa liberté, son existence et aussi sa responsabilité. Mais nier l’islam en tant que réalité historique, en tant qu’ensemble de textes «sacrés» et de jurisprudence, ayant une existence passée et attestée, et ayant un contenu bien défini, ce n’est pas être «existentialiste», c’est être négationniste de l’histoire de cette pensée (rien à voir avec le «négationnisme» d’un génocide), ou c’est être «ignorant volontaire»...

Bidar ajoute encore : «il y a le terrible essentialisme colonialiste de notre représentation occidentale de l’islam: nous n’avons pas extirpé de notre imaginaire d’anciens impérialistes la vision de ces sociétés musulmanes d’Orient vivant un islam monolithique où tout le monde priait, jeûnait, se voilait, aimait et mourait selon les mêmes règles (y avait-il d’ailleurs, on peut se le demander, une telle uniformité dans ces sociétés) ? Nous continuons à partir du préjugé que l’islam est par nature un système holiste, une religion communautaire, imposant une loi collective. C’est pourquoi, bien qu’ayant sous les yeux un Self Islam, nous demeurons dans l’incapacité culturellement entretenue de le voir et de le prendre en considération. Ensuite, contribuant aussi à nous masquer cette réalité sociologiquement établie du Self Islam, il y a la façon dont les musulmans eux-mêmes, en dépit des changements qui s’opèrent dans leur propre rapport à l’islam, ont intériorisé l’image d’une communauté homogène, régie par les mêmes règles et unie autour des mêmes représentations religieuses. La plupart persistent à entretenir le mythe fondateur d’«un seul vrai islam». Dès qu’on ose parler de remise en question individuelle de la sharia (loi religieuse) et d’interprétations plurielles du Coran, c’est la levée de boucliers: «l’islam n’est pas à la carte», «l’islam ne saurait être qu’un, le même pour tous, dogme unique énoncé par le Dieu unique». Même les musulmans ayant, de fait, un rapport très libre aux prescriptions de l’islam traditionnel, restent souvent persuadés qu’en droit on ne touche pas au sacré: dissociation totale, chez la plupart, entre théorie (dogmatique) et pratique (libérée) (…) Vis-à-vis de cela, le rôle de l’intellectuel musulman est clair. Il s’agit non seulement de dénoncer cette double illusion essentialiste, pour prévenir son risque politique majeur qui est la création d’un ghetto culturel musulman, terreau propice de l’intégrisme et du terrorisme, mais également de réfléchir de façon positive sur le phénomène du Self Islam pour l’amener à une pleine conscience de lui-même. La question est ici: que vaut - humainement, moralement, socialement, politiquement, spirituellement - le Self Islam que sont en train d’expérimenter les musulmans d’Europe ?»

Ici, on est en pleine confusion entre doctrine et personnes, ou plus précisément, entre doctrine et rapport des personnes avec cette doctrine. Cette confusion amène Bidar à accuser Ramadan d’essentialisme :

«Souvent, ce phénomène de construction personnelle d’une identité musulmane est décrit comme un «bricolage».( ...) Ce terme traduit une situation d’abandon: chaque musulman européen est aujourd’hui livré à lui-même, dans une société où les normes de conduite qui servaient autrefois n’ont plus cours. Chacun doit inventer, improviser, composer, au cas par cas et dans l’absence totale de référence objective. Inévitablement, ce vide et cette solitude créent une situation de désarroi psychologique qui attire tous les «marchands de réponse»: les Tariq Ramadan et autres Conseil - autoproclamé - des oulémas d’Europe pour les avis religieux, qui fournissent des réponses toutes faites, du type «l’islam c’est ça», «l’islam c’est faire ça dans telle situation». Revoilà l’essentialisme."

Effectivement, comme l’avoue l’auteur, il n’y a plus de «référence objective», ce qui peut être bon dans certains domaines, mais ici, en ce qui concerne la pensée islamique, il n’y a pas même de référence objective sur l’histoire du contenu de cette pensée : c’est là que l’on rejoint le révisionnisme historique (encore une fois dans un domaine littéraire, rien à voir avec des génocides) et l’ignorance.

Abdennour Bidar accuse ici Tariq Ramadan d’essentialisme parce Ramadan dit que oui, l’islam a un contenu bien connu. Ramadan met lui en garde contre l’essentialisation des musulmans : tout ceci crée dans la cervelle souvent bien confuse de certains à gauche une vraie terreur : attention, nous risquons de tomber dans l’«essentialisme», ne sommes nous pas déjà racistes en pensée ? l’enfer nous guette...

Or, au delà de Ramadan, est visée toute personne se permettant de dire que l’islam a un contenu bien défini qui «existe» historiquement, et que d’autres pensées éventuellement nommées islam existent peut-être mais, pour l’instant, ont très peu d’«existence», toute personne y compris les islamologues les plus émérites connaissant les textes de l’islam pour les avoir lus dans le texte en arabe «langue du paradis»...

Dès lors toute personne ayant étudié l’islam doit bien se garder de le décrire ... C’est donc un véritable interdit de savoir, interdit de connaître qui est posé là, basé sur le simple mot «essentialisme». Autant interdire l’islamologie, science raciste par nature...

Science, morale, politique et islamologie

D’autres attaques visent les islamologues qui récusent la dichotomie «islam/islamisme». Certains leur reprochent de «donner raison aux Ramadan ou à Ben Laden en disant que ce qu'ils disent est conforme aux textes» et d’avoir ce faisant un comportement irresponsable.

Cette critique ne tient pas debout. La seule responsabilité des savants est de donner les résultats de leurs recherches, sans les déformer en fonction des problèmes sociaux du moment, car c'est la seule façon de rendre possible une solution réelle aux problèmes sociaux. Il incombe aux politiques de trouver des solutions aux problèmes en fonction de la vérité, en fonction de la réalité, mais ils ne peuvent le faire que si les chercheurs leurs donnent les données sur la réalité, pas sur les "rêves". Personne ne peut trouver de solutions aux problèmes humains en pratiquant le "wishful thinking", le "penser en fonction de ce que l'on voudrait qui soit" et non en fonction de ce qui «est». Ce que ces conseilleurs prônent, c'est d'agir comme Lissenko (le pseudo savant soviétique qui pour ne pas dire que la génétique jouait un rôle, a prétendu que les caractères des plantes étaient "acquis"...) : c'est la confusion des fonctions et des types de responsabilités !

Il ne faut donc pas oublier le principe de réalité, de plus il n'y a pas à confondre "science " et "morale », «ce qui est» avec «ce qui doit être». Autrement dit, ce n'est pas parce que les islamologues (ceux qui ne sont pas comme le reproche Finkielkraut à ceux d'entre eux qui "enjolivent", des "baratinologues") disent que les discours et comportements des "islamistes" sont conformes aux textes, qu'ils justifieraient en quoi que ce soit le comportement dédits "islamistes". Les islamologues disent que les "islamistes" ont raison selon le coran, ils ne disent pas que le coran a "raison", que ses prescriptions sont justifiées moralement, ils disent justes : voici quelles sont ses prescriptions. Dire «les prescriptions du coran sont telles et telles, tel les suit, tel les enfreint», c'est le rôle du «scientifique» islamologue. Dire «les prescriptions du coran sont immorales ou morales, donc, tel qui les suit ou ne les suit pas, est moral ou immoral», c'est le rôle du «moraliste». Il est totalement hors de question de confondre les deux. Si ceux qui tentent de «séculariser» les pays musulmans rencontrent des difficultés parce que les textes sont ce qu'ils sont : c'est à eux de trouver une solution ! Ils ne la trouveront pas, parce que seuls auraient le droit de parler, ceux qui diraient de "pieux mensonges" sur les textes. Et qu’on ne prétende pas avoir trouvé une solution viable en invoquant des mensonges et en oubliant une partie de la réalité. Sans quoi la réalité risque de se rappeler cruellement à notre souvenir.

La logique religieuse des laïques

L’amusant de l’histoire, c’est que parler d’une religion comme d’un être vivant, une «lalangue» qui se parle toute seule, un contenu «ouvert» vivant à travers chaque génération ou personne... c’est entrer dans la démarche du croyant. En effet, pour un croyant, «le message» divin, soit n’est connu dans sa vérité que de Dieu, soit n’a pas encore été révélé, il croit à un «message vivant» quand ce n’est pas à un verbe fait Dieu. Nos laïques anti-racistes sont donc en vérité croyants, en vérité, ils le sont...

Ce type de «terrorisme intellectuel» par un simple sophisme, par la menace d’être étiqueté d’un titre infâmant (raciste), ne devrait pas fonctionner. Si nos contemporains avaient un tant soit peu de rigueur intellectuelle, de capacité d’analyse logique, ils ne se laisseraient pas berner par de telles confusions. S’ils avaient un tant soit peu le souci du sérieux intellectuel et de la présomption d’innocence, ils ne se laisseraient pas intimider par des menaces reposant sur de si faibles prétendues preuves. Et pourtant, ils sont si nombreux à rester «sidérés» par ces intimidations intellectuelles. L’humanité a-t-elle réellement progressé depuis les chasses aux sorcières ? L’inquisition semble être ressuscitée, en vérité, elle semble être ressuscitée...


Elisseievna pour LibertyVox

Militante féministe antitotalitaire


Notes :

(1) Citation de Tariq Ramadan :

Notez la finesse amusante de Ramadan : on lui demande «Y a t-il une différence entre islam et islamisme ?» et il répond en substance «Bien sûr qu’il y a une différence entre islam et islamisme... mais tous sont musulmans».

Entretien avec Tariq Ramadan

«Nous ne sommes pas ce que vous croyez»

http://www.cairn.be/article.php?ID_REVUE=OUTE&ID_NUMPUBLIE=OUTE_003&ID_ARTICLE=OUTE_003_0113
Yasmina Dahim

Outre-Terre : Faites-vous une distinction entre islam et islamisme ?

T.R. : Oui, je pense qu’ici il faut être clair. Il y a ceux qui disent que «l’islamisme c’est l’islam» ou encore que les thèses fondamentales de l’islam politique, de l’islamisme sont en fait les thèses de l’islam. Donc, ceux qui ont peur de l’islamisme auraient au fond peur de l’islam. Faisons le point sur les origines conceptuelles. Islamisme, cela vient d’islamiyun dont vous trouvez très tôt deux ou trois occurrences dans la littérature arabe, mais sans la connotation. Le mot désigne alors une dynamique historiquement attestée, celle du mouvement des années 1950 dans les prisons égyptiennes : des hommes qui se qualifient eux de musulmans, déniant par contre le qualificatif à ceux qui acceptaient l’autorité du despote, soit à l’époque Nasser ; il y avait donc en ce sens les musulmans et ceux qui ne l’étaient plus.

Et puis les membres d’un autre groupe, dans la lignée d’Hassan al-Banna et des réformistes, se définissaient comme islamiyîn, c’est-à-dire simplement plus engagés sur un projet social et politique, dans un environnement qui restait musulman. Voilà la bonne distinction : on peut être musulman de rituel ou musulman par l’action sans que les seconds excluent les premiers. Et puis l’islam, au plan sociologique, n’a rien de monolithique : vous avez les musulmans de culture, de la shahâda; ils clament qu’il n’y a qu’un seul Dieu et reconnaissent le dernier prophète, sans être forcément engagés dans une pratique. Ma position est la suivante : quiconque se sent musulman et dit la shahâda est considéré comme musulman. Ce n’est en effet pas à nous de trancher et de dire que seule l’action, la pratique définit les gens comme tels. Vous avez l’adhésion de cœur, strictement culturelle et civilisationnelle. Prenez par exemple le cas d’Abdelwahab Meddeb qui a écrit un livre et pour qui l’islam n’est pas une religion mais une civilisation. Même si pour 99,9% des gens l’islam est de fait une religion, un Dieu, un rite. Selon cet auteur, ce serait une culture centrée, je ne sais pas, autour d’un motif littéraire ou artistique et on a le droit d’être musulman de cette façon-là.

Et puis vous avez les pratiquants qui ont un projet social, de solidarité. L’islamisme actuel, lui aussi, se caractérise d’ailleurs par une diversité de postures; il n’a rien non plus de monolithique. Ce sont par exemple les gens qui ont, à l’instar des Frères musulmans des années 1930 ou 1940, un projet d’éducation, social, une certaine façon de concevoir l’école, la loi, la société qui va jusqu’au projet politique. Par contre, d’autres types d’islamisme de nature très radicale, en face à face avec une société que l’on veut frapper à la tête, donc avec un projet politique violent, ont émergé après la répression nassérienne. Vous avez les plus radicaux et puis des «littéralistes», même parfois des soufis (mystiques) avec un projet politique ! On ne comprend rien à ce qui s’est passé au siècle dernier en Tchétchénie, par exemple, si on ne sait pas que la résistance politique à la mainmise russe était soufie ! Vous voyez que les choses vont bien au-delà, dans la complexité, des deux catégories énoncées plus haut, chacune d’entre elles comportant des nuances, des variations compliquées. Voilà qui exige de l’analyste une certaine humilité. Rien de mieux, au demeurant, pour quiconque approche une civilisation, que l’humilité intellectuelle.

Outre-Terre : Y a-t-il une stratégie des islamistes en Europe et en France ?

T.R. : Ce qui me semble important, c’est qu’il y a eu, indéniablement, en Europe et en France particulièrement comme aux États-Unis, à partir des années 1950, 1960, 1970 des gens qui sont venus et qui sont issus de l’immigration. (...) Et puis naissent les enfants et on change. Et les enfants, dont je suis, voient tout à coup la réalité de façon différente : on ne reste pas attaché, de génération en génération, monolithiquement à une école de pensée, à une stratégie. Il faut éviter les réductions chez vous et chez moi de même que l’essentialisme ; l’islam ne se transmettant pas dans les gènes, par le sang, mais dans les têtes.

(2) http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=ia&ID=IA35007

elisseievna

2007

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